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The immunities of States and international organisations

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Base de données du CAHDI "Les immunités des États et des organisations internationales" - contribution de Suisse - Jurisprudence du 10/02/1960

République Arabe Unie c. Dame X

(service) Auteur

Tribunal fédéral Suisse

Date de la décision, du jugement ou de l'arrêt

10/02/1960

Points de droit

Résumé de l’affaire

Faits
A. - Dame X., domiciliée à Zurich, loua au Ministre d'Egypte en Autriche, agissant au nom de la représentation étrangère du Royaume d'Egypte en Autriche, une villa qu'elle possède à Vienne. L'immeuble devait être utilisé pour les services de la mission diplomatique égyptienne et pour la résidence du ministre. Il fut convenu notamment que le loyer serait payable à la Banque cantonale de Schwyz (art. IV) et que le for compétent serait au tribunal ordinaire de Zurich-Ville (art. XIII).
B. - En automne 1957, X., se plaignant que le locataire ne respectait pas ses obligations, dénonça le bail et réclama 187 671.62 shillings autrichiens. En garantie de cette prétention, elle obtint du Tribunal de première instance de Genève une ordonnance de séquestre. Les objets à séquestrer, à concurrence d'un montant de 31 682.16 francs suisses plus intérêts et frais, se trouvaient à l'agence de Genève du Crédit suisse.
Un double de l'ordonnance de séquestre ainsi que le commandement de payer destiné à la valider furent remis au Département politique fédéral pour être notifiés à la République égyptienne par voie diplomatique. L'Ambassade de Suisse au Caire fit une démarche à cette fin auprès du Ministère égyptien des affaires étrangères. Ce dernier refusa cependant de transmettre les documents à l'autorité compétente et d'en accuser réception. Il allégua que le séquestre et la poursuite n'étaient pas compatibles avec l'immunité de juridiction et d'exécution de l'Etat égyptien.
L'Ambassade de Suisse au Caire établit une attestation certifiant qu'elle avait tenté de remettre les pièces en cause au Ministère égyptien des affaires étrangères. Cette attestation fut transmise à l'Office des poursuites de Genève. Ce dernier, constatant que le commandement de payer n'avait pas été frappé d'opposition, convertit le séquestre en une saisie définitive.
C. - Au printemps 1959, le ministre de la République Arabe Unie (RAU) à Vienne - la RAU, qui comprend notamment l'ancienne Egypte, a repris les obligations de cette dernière - évacua les locaux. X. fit alors expertiser l'immeuble et le mobilier loués. Elle fut ainsi amenée à augmenter sa réclamation et obtint du Tribunal de première instance de Genèveun séquestre pour un montant supplémentaire de 91 500 fr.
Une copie de l'ordonnance de séquestre ainsi que le commandement de payer destiné à la valider furent également transmis par voie diplomatique au gouvernement de la RAU, au Caire. Toutefois, le Ministère des affaires étrangères de la RAU refusa de recevoir ces documents, ces "formalités étant", selon lui, "diamétralement opposées aux principes du droit international".
D. - La présence en Suisse de fonds appartenant à l'Egypte s'explique par des contrats d'achat de matériel de guerre que cette dernière a passés en 1953 avec la société Rexim SA à Genève. Pour garantir le paiement du prix d'achat, l'Egypte avait ouvert, par l'intermédiaire de sa banque nationale, des accréditifs au bénéfice de la société Rexim pour un montant d'environ 8 millions. Ces contrats ne furent toutefois exécutés que dans une très fai ble mesure. En effet Rexim SA obtint un sursis concordataire et l'homologation d'un concordat par abandon d'actif. Le 1er décembre 1959, la RAU et Rexim SA passèrent une transaction pour "mettre fin à l'amiable à tous les litiges les séparant". Le Crédit suisse devait mettre les sommes à la disposition du gouvernement
de la RAU. C'est ce qu'il fit, en conservant toutefois 150 000 fr. en couverture des deux séquestres opérés pas X.
E. - Agissant par la voie du recours de droit public, la RAU requiert le Tribunal fédéral d'annuler ces deux séquestres ainsi que les actes de poursuite qui les ont suivis. Elle soutient essentiellement que ces actes ne lui ont pas été régulièrement notifiés et qu'ils violent le principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers.

Extrait des considérants:
1. - Si les ordonnances de séquestre étaient annulées, les poursuites qui ont été intentées pour les valider devraient nécessairement l'être aussi, puisque les conditions dont dépend le for spécial auquel elles ont été intentées ne seraient plus réunies. Le recours est dès lors recevable non seulement contre les ordonnances de séquestre, mais aussi contre les commandements de payer qui les ont suivies (RO 82 I 79/80, CH / 4).
Le recours est recevable également du point de vue de la subsidiarité du recours de droit public (art. 84 al. 2 OJ). En effet, les ordonnances de séquestre ne sont susceptibles ni des recours ordinaires énumérés à l'art. 36 LP ni d'une autre voie de droit auprès d'une autorité fédérale (RO 82 I 80, CH / 4 ).
Enfin, les conditions posées par la loi quant à l'épuisement des moyens de droit cantonal sont remplies, du moment que la recourante se plaint d'une violation du principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers et qu'elle peut dès lors saisir directement la Cour de céans (RO 82 I 82, CH / 4).
2. - Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers n'est pas une règle absolue et d'une portée toute générale. Il faut au contraire faire une distinction suivant que l'Etat étranger agit en vertu de sa souveraineté (jure imperii) ou comme titulaire d'un droit privé (jure gestionis). C'est dans le premier cas seulement qu'il a le droit d'invoquer le principe de l'immunité de juridiction. Dans le second, en revanche, il peut être recherché devant les tribunaux suisses et faire, en Suisse, l'objet de mesures d'exécution forcée, à la condition toutefois que le rapport de droit auquel il est ainsi partie soit rattaché au territoire de ce pays, c'est-à-dire qu'il y soit né, ou doive y être exécuté ou tout au moins que le débiteur ait accompli certains actes de nature à y créer un lieu d'exécution (RO 82 I 85/86, CH / 4 et la jurisprudence citée).
Les principes qui guident le Tribunal fédéral inspirent du reste également la jurisprudence de nombreux tribunaux étrangers. Ainsi en va-t-il en Autriche (...), en Allemagne (...), en Italie et en Belgique (...), dans une certaine mesure aussi en France (...). Il semble même que les autorités britanniques et américaines ne soient plus aussi fermement attachées que par le passé à la règle de l'immunité absolue (...). Quant à l'Egypte, même depuis la suppression des tribunaux mixtes, elle limite également l'immunité de juridiction aux actes de puissance publique (...).
Pour distinguer les actes de gestion des actes de gouvernement, le juge doit se fonder non sur leur but, mais sur leur nature, et examiner si, à cet égard, l'acte relève de la puissance publique ou s'il est semblable à celui que tout particulier pourrait accomplir (...). En appliquant la distinction suivant la nature de l'acte, le juge peut du reste s'aider de critères extérieurs à cet acte lui-même. De ce point de vue, le lieu où l'Etat étranger a agi peut fournir parfois certaines indications. Ainsi, lorsqu'un Etat entre en relation avec un particulier en dehors de ses frontières et sur le territoire d'un autre Etat sans que ses relations (diplomatiques) avec ce dernier soient en cause, il y a là un indice sérieux qu'il accomplit un acte jure gestionis.
3. - En l'espèce, les rapports de droit en litige ont leur source dans un contrat de b ail. Ce contrat a été passé entre X., propriétaire et bailleresse de l'immeuble, et le Ministre d'Egypte en Autriche, locataire au nom de la représentation étrangère du Royaume d'Egypte en Autriche, c'est-à-dire au nom de l'Etat égyptien. Bien que conclue entre un Etat et un particulier, cette convention présente toutes les caractéristiques d'un accord entre deux personnes privées. En effet, aucune des dispositions du contrat ne permet de penser que X. se serait trouvée, vis-à-vis de l'Etat égyptien, dans la situation du simple citoyen en face de l'Etat souverain. L'ensemble de la convention démontre au contraire que les deux parties étaient sur un pied de parfaite égalité. X. a assumé certaines obligations et l'Etat égyptien en a fait autant pour ce qui le concerne. Ces obligations ressortissent du reste au droit privé et les parties l'ont si bien compris qu'elles sont convenues de soumettre leur litige à un tribunal civil ordinaire. Qui plus est, l'Etat égyptien a accepté que ce tribunal ne fût pas celui qui eût été naturellement compétent. Dès lors, en signant le contrat, il a agi de la même manière que n'importe quel particulier louant un immeuble pour s'y loger. Il a donc accompli un acte de gestion.
Le contrat de b ail litigieux étant, par sa nature, un acte de gestion, il reste à savoir s'il est rattaché au territoire suisse, comme l'exige la jurisprudence du Tribunal fédéral. Tel est certainement le cas, puisque le loyer était payable en main de la Banque cantonale de Schwyz et que les conflits relatifs au contrat devaient être jugés par les tribunaux zurichois. La recourante ne saurait dès lors se prévaloir de l'immunité de juridiction des Etats étrangers.
4. - La recourante invoque aussi l'immunité d'exécution. Elle se heurte cependant à la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle le pouvoir d'exécution découle du pouvoir de juridiction (RO 82 I 88/89, CH / 4). Certes, la doctrine et la jurisprudence hésitent à admettre le pouvoir d'exécution dans la même mesure que le pouvoir de juridiction des autorités d'un Etat à l'égard d'un Etat étranger. Ces hésitations ne sont cependant pas justifiées en Suisse, où la jurisprudence ne reconnaît le pouvoir de juridiction des autorités locales que dans des limites précises, c'est-à-dire uniquement à l'égard des actes de gestion rattachés au territoire suisse. (...).
La recourante croit, il est vrai, discerner une raison d'opposer au séquestre l'immunité d'exécution dans le fait que la mesure frappant ses biens est intervenue sans que l'existence de sa dette fût établie. Elle omet cependant que, dans le système du droit suisse, le séquestre est une mesure conservatoire qui précède souvent l'introduction de l'action. D'autres pays du reste admettent la légitimité de telles mesures (...). Il en va de même de l'article 5 des résolutions adoptées par l'Institut de droit international à sa session d'Aixen-Provence, en tant du moins qu'il ne s'agit pas des biens affectés à l'exercice de l'activité "gouvernementale qui ne se rapporte pas à une exploitation économique quelconque" (...).
5. - La recourante excipe enfin de la destination des biens séquestrés. Elle rappelle que l'Etat égyptien avait déposé ces fonds en Suisse afin de financer des achats d'armes qu'il se proposait de faire auprès de la société Rexim SA Les sommes en cause étaient donc affectées aux besoins de la défense nationale et, partant, ne pouvaient être séquestrées.
Cette argumentation ne tient cependant pas compte de la réalité des faits. En septembre 1959, à l'époque du second séquestre opéré par dame X., il n'était en effet plus question que Rexim SA livrât les armes commandées. La société était en liquidation concordataire depuis presque trois ans. Bien plus, les liquidateurs, loin de chercher à exécuter les contrats de fourniture de matériel de guerre, avaient au contraire entamé des négociations avec les fournisseurs de la société et la RAU pour obtenir l'extinction de toutes les obligations résultant des conventions. Certes, bien que les armes ne dussent plus être livrées, la somme de quelque 8 000 000 de francs suisses, séquestrée au profit de Rexim SA, devait être affectée en premier lieu au règlement de comptes avec cette société. Cependant, le solde, qui comprenait la plus grande partie de la somme, devenait disponible. Au moment du second séquestre, les biens saisis n'étaient donc plus affectés à un but précis touchant à la défense nationale. Dans la mesure où ils n'étaient pas séquestrés, la RAU pouvait en user librement. La question est dès lors de savoir si l'intimée pouvait faire séquestrer ces biens, qui appartenaient à un Etat étranger et qui, n'étant affectés à aucun but précis, pouvaient être utilisés pour n'importe quelle tâche de l'Etat.
Lorsqu'un Etat possède des fonds dans un autre Etat et qu'il les affecte à son service diplomatique ou à une autre mission lui incombant en sa qualité propre de puissance publique, il peut s'opposer à ce qu'ils fassent l'objet d'un séquestre. En effet, les fonds sont alors destinés à l'accomplissement d'actes de souveraineté. Comme ces derniers, ils sont protégés par l'immunité de juridiction et, partant, par l'immunité d'exécution.
La situation est différente quand les biens ne sont, comme en l'espèce, destinés à aucun but déterminé. L'absence d'une affectation précise permet d'admettre la validité d'un séquestre opéré en Suisse sur les avoirs d'un Etat étranger. C'est ainsi que, dans son arrêt RO 44 I 49, le Tribunal fédéral a confirmé la validité d'un séquestre portant sur un avoir de l'Etat autrichien, qui n'avait pas de destination déterminée. Dans les arrêts RO 56 I 237 et 82 I 75, le séquestre avait aussi pour objet des biens dont l'utilisation n'avait pas été fixée, et, s'il a été annulé, ce n'est pas pour cette raison, mais uniquement parce que les créances en poursuite n'étaient pas rattachées au territoire suisse. La Chambre de droit public n'a pas de raison d'adopter une solution différente en l'espèce. Le second séquestre est donc valable à tous points de vue.
Quant au premier séquestre converti en saisie définitive, la RAU ne l'a attaqué par la voie du recours de droit public qu'après l'échéance du délai légal. Sur ce point, son recours est donc irrecevable. Il est vrai que, si le séquestre violait l'ordre public international, il pourrait être attaqué après l'expiration du délai légal, à l'occasion d'une mesure d'exécution (arrêt non publié du 7 octobre 1938 dans la cause Etat yougoslave contre SA Sogerfin). Toutefois, il n'y a pas eu en l'espèce de mesures d'exécution du premier séquestre dans les trente jours. Pour le premier séquestre, le recours est donc de toutes manières tardif. Il serait du reste mal fondé. En effet, la recourante ne démontre pas que le 10 octobre 1957, date du premier séquestre, Rexim SA était encore tenue de livrer les armes commandées et que, par conséquent, les fonds égyptiens déposés en Suisse étaient spécialement affectés, comme à l'origine, au paiement des fournitures de matériel de guerre.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours en tant qu'il est recevable.

Sources

ATF 86 I 23

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