Database

The immunities of States and international organisations

This database contains the original national contributions bringing together information on The immunities of States and international organisations

Information sur la contribution

Etat membre
Suisse
Thèmes
Type de document
Jurisprudence
Lien permanent vers la contribution
http://www.cahdidatabases.coe.int/C/Immunities/Switzerland/1979/379
Traductions
CE DOCUMENT PEUT ETRE CITE COMME SUIT :
Base de données du CAHDI "Les immunités des États et des organisations internationales" - contribution de Suisse - Jurisprudence du 20/07/1979

République Arabe d'Egypte c. Cinetel

(service) Auteur

Chambre de droit publie du Tribunal fédéral suisse

Date de la décision, du jugement ou de l'arrêt

20/07/1979

Points de droit

Résumé de l’affaire

Faits
Agissant à la requête de la société liechtensteinoise Cinetelevision International Registred Trust (Cinetel), le Président du Tribunal de première instance de Genève avait séquestré les avoirs en Suisse de la Fédération de la radiodiffusion et de la télévision de la République Arabe d'Egypte (TVRAE), de la Banque centrale d'Egypte (BCE) et de la Banque nationale d'Egypte (BNE) (...). Il était précisé que le débiteur, pris conjointement et solidairement, constituaient des "organismes d'Etat (...) formant une même entité économique avec l'Etat, leur maître économique". Le séquestre portait sur les fonds (...) de l'Etat (...), notamment [ceux détenus] par l'Office d'information et de tourisme (OIT) de la République Arabe d'Egypte à Genève. Les ordonnances de séquestre furent exécutées auprès de l'OIT.
Agissant par voie du recours de droit public, la République Arabe d'Egypte (RAE) invoqua l'immunité de juridiction et d'exécution forcée des Etats étrangers et demanda au Tribunal fédéral d'annuler les trois ordonnances de séquestre et leur exécution par l'Office des poursuites de Genève, dans la mesure où elles portaient sur des biens situés à Genève et affectés par l'Etat au fonctionnement de l'OIT. A l'appui de son recours, la RAE fait valoir que l'OIT n'était qu'une branche administrative de son Ministère du tourisme à qui appartenaient dès lors les biens de l'OIT. Etant ainsi affecté à une tâche publique de l'Etat, ces biens étaient insaisissables. La RAE soutint en outre qu'elle était une entité juridique distincte des trois débiteurs contre qui les séquestres étaient dirigés et que ces séquestres ne visaient nullement la RAE en qualité de débitrice, de sorte que les mesures en cause ne pouvaient être accordées puisqu'elles devaient garantir des prétentions dont il n'était pas établi que la RAE fût débitrice.
Le Tribunal fédéral déclara les recours recevables et les admit quant au fond.

Extrait des considérants:
3. - En principe, l'Etat étranger qui agit jure imperii, soit en sa qualité de sujet de droit international public souverain ne peut saisir le Tribunal fédéral d'un recours de droit public pour violation d'un traité international ou d'une règle du droit des gens. (...)
Cependant, la jurisprudence constante reconnaît aux Etats étrangers la qualité pour former, à l'encontre d'un séquestre, un recours de droit public fondé sur la violation de l'immunité de juridiction et d'exécution. En effet, quand bien même c'est précisément en sa qualité de sujet de droit international que l'Etat étranger peut se prévaloir de cette immunité, l'ordonnance de séquestre et son exécution le frappent de même manière qu'un particulier. (...)
(...) du reste, indépendamment même de l'existence d'un principe reconnu du droit des gens, il appartient au Tribunal fédéral de définir en toute indépendance, en matière d'immunité d'exécution, les principes auxquels doivent se conformer les autorités judiciaires et celles qui sont chargées de procéder à l'exécution forcée.
La République Arabe d'Egypte fait valoir que la poursuite n'est pas dirigée contre l'Etat égyptien en qualité de débiteur. On ne saurait toutefois conclure à l'irrecevabilité de ce moyen. En effet, s'il est vrai que la requête et les ordonnances de séquestre indiquent en qualité de débitrices deux banques et la télévision égyptiennes, il y est précisé qu’il s'agit d'organismes d'Etat formant une même entité économique avec celui-ci ; en outre, la liste des biens à séquestrer ne fait nullement état de créances que les débitrices
auraient contre l'OIT, mais mentionne notamment tout bien se trouvant à l'OIT "au nom ou pour le compte de la RAE, notamment de l'un de ses Ministères (...) ou organismes d'Etat". Le moyen ainsi soulevé est par conséquent indissolublement lié au grief de violation de l'immunité de juridiction et d'exécution, si bien que la recourante peut le faire valoir.
4. - (...) Le principe dit de l'immunité relative distingue selon que l'Etat agit jure imperii ou jure gestionis, soit comme simple particulier titulaire d'un droit privé, auquel cas il ne peut invoquer le principe de l'immunité de juridiction et d'exécution ; consacré en 1918, ce principe a constamment été confirmé depuis lors. Toutefois, même s'il s'agit d'un acte de gestion, l'Etat étranger ne peut être recherché devant les tribunaux suisses et faire l'objet de mesures d'exécution forcée qu'à la condition que le rapport de droit auquel il est ainsi partie soit rattaché au territoire suisse.
Un ATF 104 la 369 (CH/20) mentionnait également, quand bien même elle était inapplicable en l'espèce, la Convention européenne sur l'immunité des Etats ; il relevait que les principes qu'elle contient peuvent être considérés comme l'expression de la doctrine et de la jurisprudence récentes de l'Europe occidentale en la matière, qui tendent à restreindre la portée du principe de l'immunité davantage que ne le fait la pratique suisse. Il convient cependant de préciser que la convention et la jurisprudence du Tribunal fédéral conçoivent de manière différente l'immunité d'exécution, qui est en cause dans le cas présent.
Le Tribunal fédéral considère l'immunité d'exécution comme une simple conséquence de l'immunité de juridiction : l'Etat étranger qui, dans un cas déterminé, ne jouit pas de celle-ci ne peut non plus se prévaloir de celle-là, à moins que les mesures d'exécution concernent des biens destinés à l'accomplissement d'actes de souveraineté.
En ce qui concerne les Etats en tant que tels, la convention fait quant à elle une nette distinction entre l'immunité de juridiction et celle d'exécution. Il ressort de l'article 15 de la convention que tous les autres cas autres que ceux prévus par les articles premier à 14, l'Etat contractant bénéficie d'office de l'immunité de juridiction, même s'il s'agit d'actes jure gestionis ; à cet égard, la convention traduit un compromis entre la théorie de l'immunité absolue et celle de l'immunité relative. En revanche, il résulte clairement de l'article 23 de la convention que les Etats contractants bénéficient dans tous les cas de l'immunité d'exécution, à moins qu'il n'y renoncent expressément par écrit ; c'est précisément parce que l'exécution forcée est interdite que, d'une part, l'article 20 l/a posé pour principe que l'Etat contractant doit donner effet à un jugement rendu contre lui par le tribunal d'un autre Etat contractant lorsqu'il ne pouvait invoquer l'immunité de juridiction et que, d'autre part, l'article 21 prévoit certaines garanties judiciaires propres à assurer l'observation effective de cette obligation.
La convention est doublement inapplicable en l'espèce. La Suisse l'a signée, mais non ratifié ; quant à la République Arabe d'Egypte, elle n'est pas membre du Conseil de l'Europe et il n'a pas été fait usage à son égard de la clause relative à l'adhésion d'Etats non membres. En l'absence de tout traité liant la recourante et la Suisse en matière d'immunité, il convient donc de s'en tenir à la jurisprudence du Tribunal fédéral dans ce domaine. Dès lors, toute référence éventuelle à la convention en tant qu'expression de tendances récentes du droit international public doit tenir compte de ce que, sur des points importants, cet accord repose sur des conceptions qui divergent de celles qui fondent la jurisprudence du Tribunal fédéral.
5. - a) Pour distinguer les actes de gestion des actes de gouvernement, il y a lieu de se fonder, non sur leur but, mais sur leur nature, et d'examiner si, à cet égard, l'acte
considéré relève de la puissance publique ou s'il est semblable à celui que tout particulier pourrait accomplir. Or, le présent litige trouve son origine dans un contrat portant sur la location de films conclu entre Cinetel et l'Organisme de la télévision de la République Arabe Unie (TVRAU), devenu depuis lors la TVRAE ; il est indubitable qu'il s'agit là d'un contrat du droit des obligations, que pourraient parfaitement passer entre elles deux personnes privées. Il doit donc être qualifié d'acte de gestion, quand bien même une des parties contractantes est un organisme de l'Etat égyptien et nonobstant le fait qu'il s'agissait, selon celui-ci d'un contrat destiné à permettre l'accomplissement de tâches découlant de sa souveraineté.
b) Il ne suffit cependant pas qu'il s'agisse d'actes de gestion, accomplis par l'Etat en tant que simple particulier, pour admettre l'exécution. Encore faut-il, comme on l'a rappelé, que le rapport de droit considéré soit rattaché au territoire suisse, c’est-à-dire qu'il y soit né, ou doive y être exécuté, ou tout au moins que le débiteur ait accompli certains actes de nature à y créer un lieu d'exécution (CH/20 ; CH/8 ; CH/4).
Le contrat originaire convenu entre la TVRAU et Cinetel n'avait aucun rapport avec le territoire suisse. (...) Cinetel n'est pas domiciliée en Suisse et rien n'indique que le contrat en question y ait été conclu ; en outre, le loyer convenu pour les films, qui devaient être livrés en Egypte, était payable au Caire auprès de la BCE, au compte de Cinetel qui avait donné à cette banque l'ordre irrévocable de virer sur son compte en Suisse toute les sommes versées par la TVRAU.
Cependant, les ordonnances de séquestre qui sont à l'origine du présent recours de droit public ont été requises sur la base de trois accords transactionnels, tous conclus à Genève par la TVRAU et Cinetel dans le but de mettre fin au litige né entre elles. Selon la convention principale, un montant transactionnel de USD 1'380'000.--, devait être déposé par la TVRAU sur un compte libellé en livre égyptiennes, non-résidents C, ouvert auprès de la BNE au Caire au nom de l'Union de banques suisses (UBS) à Genève ; il devait être transféré sans frais ni retenues à Genève, en faveur de l'UBS par l'entremise de la BNE et de la BCE, agissant à la demande de la TVRAU. Ces deux banques étaient qualifiées, dans la convention d'institutions étatiques de la RAU, seules compétentes pour procéder au transfert de devises à l'étranger en règlement des sommes dues à des étrangers non-résidents". Pour sa part, Cinetel s'engageait à faire procéder, dès réception par l'Ubs à Genève du montant convenu, à la levée de tout séquestre exécuté à Genève contre les banques égyptiennes et à se désister également d'une action judiciaire qu'elle avait intentée.
(…)
Les trois accords en question sont doublement en relation avec le territoire suisse. D'une part, ils ont été conclus à Genève ; d'autre part, c'est dans cette ville que devaient être finalement transférés les sommes que la TVRAU s'engageait à déposer sur un compte ouvert, au nom de l'UBS, auprès de la BNE au Caire. On peut cependant hésiter à considérer qu'il y a là des circonstances de rattachement suffisamment étroit, au sens de la jurisprudence, pour admettre la mesure d'exécution à l'encontre de la République Arabe d'Egypte.
Tant la convention principale que le "projet d'arrangement" prévoyait expressément que si les transferts de fonds qu'ils stipulaient n'étaient pas effectués dans les délais fixés, l'une et l'autre parties, c’est-à-dire Cinetel et la TVRAU, reprendraient leur pleine liberté d'action. Cela revenait à dire que les accords transactionnels n'acquerraient force obligatoire qu'après que les sommes convenues seraient transférées et qu'à ce défaut, les parties se trouveraient à nouveau régies par la situation contractuelle antérieure, soit par le contrat initial conclu en 1964, lequel n'a aucun rapport avec le territoire suisse. L'arrivée des fonds à Genève ne dépendait cependant pas de la TVRAU ; signataire de la convention principale, celle-ci s'engageait uniquement à verser les sommes convenues au Caire et à requérir leur transfert à Genève auprès de la BNE et de la BCE, définies comme des institutions étatiques, seules compétentes pour transférer des devises à l'étranger. Or ces deux banques, du comportement desquelles dépendait en définitive le caractère obligatoire des accords transactionnels, n'étaient nullement parties à ceux-ci, puisqu'elles n'avaient signé ni la convention principale, ni les "Projets d'arrangement". Dans ces conditions, on pourrait soutenir qu'il n'y avait pas d'accord définitif fixant un lieu d'exécution en Suisse et qu'il n'appartenait à l'Etat égyptien de décider unilatéralement, par l'intermédiaire de la BNE et de la BCE, si tel serait le cas ou non. Cela étant, et compte tenu de ce qu'en l'espèce, il s'agit précisément de déterminer si la République Arabe d'Egypte elle-même _ et non la TVRAU, la BNE ou la BCE, en leur qualité d'institutions étatiques disposant d'une autonomie relative - peut se prévaloir du principe de l'immunité, on pourrait douter de l'existence d'un lien d'exécution en Suisse.
Cette question peut néanmoins demeurer irrésolue, comme peut rester indécis le point de savoir si le seul fait que les accords transactionnels ont été conclus à Genève constitue une circonstance de rattachement au territoire suisse suffisante pour refuser à l'Etat recherché en raison d'actes accomplis jure gestionis le bénéfice de l'immunité. Le recours de droit public doit en effet être de toute façon admis, en raison de la nature des biens séquestrés.
c) Les ordonnances de séquestre ont été rendues non à l'encontre de l'Etat égyptien, mais bien contre la BCE, la BNE et la TVRAU ; elles précisaient toutefois qu'il s'agissait là d'organismes d'Etat, formant une même entité économique avec ce dernier, désigné comme étant leur maître économique. En outre, la liste des objets à séquestrer auprès de tiers, au nombre desquels figurait l'OIT, faisait mention de tous biens détenus "au nom et pour le compte de l'Etat de la RAE, notamment de l'un de ses ministères (...) ou organismes d'Etat".
Une telle désignation permettrait indubitablement de séquestrer tous les biens et tous les avoirs de l'OIT. Or, celui-ci est un organisme de l'Etat égyptien ; quand bien même elle revêt un aspect économique, l'activité qu'il déploie, et à laquelle ses biens et avoirs sont - en partie du moins - affectés, constitue une tâche qui incombe à la RAE en sa qualité de puissance publique. La fonction que remplit l'OIT est en fait semblable à celle qu'assurent les offices cantonaux du tourisme ou ceux que la Suisse entretient à l'étranger, qui sont des organismes de droit public. Or d'après les articles 7-9 de la loi sur les poursuites pour dettes contre les communes et autres collectivités de droit public cantonal, seuls les biens patrimoniaux de ces collectivités peuvent être saisis, les biens administratifs étant en revanche insaisissables, car ils forment le patrimoine de la collectivité et sont affectés directement à l'accomplissement de ses tâches de droit public. D'ailleurs, la doctrine limite également l'exécution forcée à l'égard des Etats étrangers aux seuls biens patrimoniaux. Quant au Tribunal fédéral, il admet que, dans certaines circonstances, l'affectation de biens appartenant à l'Etat étranger peut conduire à soustraire ceux-ci à l'exécution forcée ; tel est le cas lorsqu'il s'agit de biens destinés à l'accomplissement d'actes de souveraineté - et non seulement de biens appartenant au patrimoine fiscal : à l'instar des actes accomplis jure imperii eux-mêmes, de tels biens sont protégés par l'immunité de juridiction et, partant, par celle d'exécution.
En l'espèce, les ordonnances litigieuses permettraient précisément la saisie de tels biens. Il résulte par conséquent de ce qui précède que les recours de droit public doivent être admis.

Sources

ASDI 1981 p.206

Informations complémentaires (explications, notes, etc.)